Qui était Saint-Bénigne ?
Extrait de : Saint-Bénigne apôtre de la Bourgogne de Pierre Cléon aux Editions Faton (ISBN : 978-2-87844-160-4)
« ..Les origines de saint Bénigne nous ont été transmises au fil des siècles par la tradition et, comme sa vie ou son martyre, elles restent pleines d’incertitudes. Cependant, l’ensemble des actes se rejoignent pour les faire débuter à saint Polycarpe, évêque de Smyrne (actuellement Izmir en Turquie) et disciple de saint Jean l’Evangéliste, fondateur et chef des églises d’Asie. Au cours d’une nuit, Polycarpe aurait eu une apparition : son élève Irénée de Lyon, l’appelait pour lui demander secours face à la désolation de l’église de Gaule, horriblement persécutée. Polycarpe aurait alors destiné trois de ses disciples à partir annoncer l’Evangile aux peuples de Gaule : les prêtres Antioche et Bénigne ainsi que le diacre Thyrse. L’Histoire a retenu que Bénigne, le « Bien-Bon », le “Bienveillant” est issu d’une famille d’Ephèse (aujourd’hui Selcuk), située à quarante kilomètres au sud de Smyrne… »
…en 152 Polycarpe, allant visiter le souverain pontife saint Anicet, aurait accompagné ces nouveaux apôtres à Rome. Le Saint-Père les combla de bénédictions et encouragea leur mission…
Débarqués à Marseille, ils gagnent Lyon, puis Autun par la via Aggrippa. « …Un sénateur de la ville, Fauste, adorateur de Jésus en secret leur aurait ouvert les portes de son palais et les aurait reçus comme les envoyés du Ciel… La tradition fixe les actes initiaux d’évangélisation de Bénigne à Autun, première étape de son périple. Fauste et son épouse Augusta, personnages considérables d’Autun, avaient un fils Symphorien. Bénigne assisté de ses compagnons Andoche et Thyrse, baptisa l’enfant âgé de trois ans… Nonobstant les obstacles qui se présentaient à eux, Bénigne, Andoche et Thyrse transmirent leur foi aux Éduens avec un empressement infatigable. En quelques années, il se forma à Autun une fervente Église.
À la demande de Fauste, Bénigne aurait remis celle-ci à ses deux compagnons et serait parti pour Langres où la sœur de Fauste, Léonille, demeurait. Elle avait trois fils, instruits, distingués et païens comme leur père. Fauste confia à Bénigne la mission de les convertir. En 164, celui-ci, avec deux autres disciples, quitta Autun pour Mâcon, où il laissa ses compagnons de route, puis se rendit à Langres par l’une des voies du Rhin. Quant à Symphorien, il fut l’un des premiers martyrs de la Bourgogne. Il aurait été décapité pour crime d’impiété envers la religion officielle, en se moquant des processions que l’on faisait en l’honneur de la déesse Cybèle pour la prospérité des moissons et des vignes. Le sort d’Andoche et de Thyrse ne fut pas plus clément que celui de Symphorien : ils furent martyrisés à Saulieu. Une crypte souterraine recueillit leurs dépouilles. Sur cette crypte allait être bâtie quelques siècles plus tard la basilique Saint-Andoche, merveille de l’art roman…
La tradition enseigne qu’une fois arrivé à Langres, capitale des Lingons, peuple important de la Gaule, Bénigne fut accueilli avec une immense joie par Léonille. Celle-ci lui aurait alors présenté avec hâte ses petits-fils, dont elle espérait la conversion. Frères jumeaux – le terme de triplé n’existait pas à l’époque – , Speusippe, Éleusippe et Méleusippe étaient âgés d’une vingtaine d’années. Ils avaient perdu leur mère très jeunes, et leur père, païen, leur avait donné une solide formation. Bénigne les rencontra dans leur demeure de Balesme, à quelques kilomètres au sud de Langres. Ils y offraient, suivant le rite accoutumé, des sacrifices à la déesse Némésis. Dans leur splendide résidence, ils avaient érigé douze autels en l’honneur des dieux, causant ainsi un immense chagrin à leur grand-mère Léonille qui, vainement, avait essayé de leur parler de la religion chrétienne qu’elle pratiquait, comme Fauste, son frère autunois. Dans l’imaginaire populaire transmis au cours des siècles, Bénigne a conquis ces jeunes hommes. Ils bâtirent les prémices de l’Église de Langres et furent, pour Bénigne, de zélés auxiliaires qui n’épargnèrent rien pour le seconder dans sa mission. Aussi, il se forma à Langres, en assez peu de temps, un noyau de néophytes qui allait constituer les solides fondations d’une grande Église. Après avoir contribué à ruiner le paganisme au coeur du pays lingon et y avoir arboré la croix, sachant que les trois frères seraient les dignes et actifs représentants de sa mission, Bénigne reprit sa route en direction de Dijon. …… Bâtie sur les bords du Suzon cette cité, bien que peu importante, bénéficiait d’une certaine renommée. Bénigne y aurait fait des prosélytes discrètement et pendant une vingtaine d’années, sans éveiller d’ombrage chez les païens. Ceux auxquels il prêchait, touchés par la doctrine que leur prônait l’apôtre et frappés par la pureté de sa vie, renoncèrent au culte sacrilège et réclamèrent le baptême avec ardeur. Pour réunir les Dijonnais, Bénigne bénit deux oratoires souterrains : l’un dédié à saint Jean Baptiste et à saint Jean l’Évangéliste – sur lequel sera construite quelques siècles plus tard, l’église Saint-Jean – , l’autre à saint Etienne, à l’intérieur du castrum, l’enceinte de la ville. Ce dernier, au fil du temps, devint l’église puis la cathédrale Saint-Étienne, aujourd’hui désaffectée.
Dès son arrivée à Dijon, Bénigne fut aidé par une vierge, nommée Paschasie qui embrassa les prédications de l’évangélisateur avec ferveur et lui fit l’hommage de sa vie. Paschasie aida le prêtre à propager la foi ; elle mit sa maison et ses biens au service de l’apôtre. Elle pourvoyait à ses besoins préparait les âmes à l’entendre et veillait pour écarter les soupçons de magistrats païens. Elle paya ce dévouement des palmes du martyre. Lorsque Bénigne se croyait observé, il se retirait dans la crypte où s’élèverait plus tard l’abbaye Saint-Étienne et, là, il catéchisait. Parfois il changeait de ieu et partait évangéliser les bourgs et villages voisins. Hélas, sa renommée le trahit. Les conversions qu’il avait opérées à Dijon après celles d’Autun et de Langres, éveillèrent les soupçons du préfet Terentius, en charge notamment de protéger le culte païen. Au même moment, Marc Aurèle faisait la revue de ses troupes à Dijon, où les légionnaires romains avaient bâti un campement permanent. L’empereur put admirer une ville naissante agrémentée de temples dédiés à Jupiter, Saturne et Mercure, il recommanda alors de ne souffrir aucun chrétien dans la ville. Terentius lui apprit la présence d’un étranger : « Nous ne savons pas ce qu’est un chrétien, dit Terentius à l’empereur, mais il y a ici un homme à la tête rasée qui n’a pas nos habitudes. Il rejette notre culte ; il lave notre peuple avec de l’eau et il l’oint de baume. Il fait aussi des prodiges. Il prêche un autre dieu et, en son nom, il promet la vie éternelle à ceux qui croient en son dieu. » – « À ce que j’entends, conclut Marc Aurèle, cet homme est bien un chrétien. Recherchez-le et amenez-le-moi ligoté. »
Après une période d’accalmie, la persécution contre les chrétiens se rallumait. Ainsi, en 178, les édits de Marc Aurèle imposaient de les rechercher à cause de leur religion : « Mettez à mort les confesseurs du Christ. » Partout, les porteurs de la foi chrétienne furent traqués comme des bêtes fauves et, sans distinction de sexe, d’âge, ni de condition, traînés aux plus cruelles tortures.Les martyrs de cette persécution, dont le sang empourpre le sol des amphithéâtres à Rome, à Smyrne et dans les Gaules, sont innombrables… Parmi eux : saint Andoche, saint Thyrse et les Trois Jumeaux. Ainsi, poursuivi par les soldats romains, Bénigne aurait été forcé de fuir. Le prêtre quitta précipitamment Dijon, se cacha quelque temps à Prenois, à deux lieues à l’ouest, au sein d’une cavité que l’on peut encore voir aujourd’hui, puis se réfugia à Épagny, sur la route de Langres, à deux lieues et demie au nord du castrum. Pourchassé par les soldats de Terentius, il fut arrêté près d’une source, toujours connue sous le nom de fontaine Saint-Bénigne. Une antique tradition accuse les habitants de Larrey d’avoir trahi le prêtre en fuite.
La légende stipule que, enchaîné, Bénigne fut conduit devant Marc Aurèle qui lui proposa d’abandonner sa religion en échange de quoi il serait établi premier dans son palais. Le chrétien refusant d’apostasier sa foi, le Romain ordonna qu’il fût frappé à coups de nerf de boeuf, ordre qui fut exécuté avec tant de haine et de cruauté que la chair du martyr vola en lambeaux et que ses entrailles furent mises à nu en plusieurs endroits. Sous ses supplices, Bénigne ne cessa de prier. Le soir venu, il fut jeté au fond d’un cachot, dans une sombre tour. Un ange remplit alors cette prison d’une odeur d’ambroisie et vint guérir toutes les plaies du martyr. Le lendemain, Marc Aurèle apprenant ce prodige et voulant l’attribuer à ses dieux, ordonna de contraindre Bénigne par la force à manger des viandes immolées. Les prières du supplicié et son signe de croix dissipèrent les idoles et les vases servant aux sacrifices ; les viandes partirent en fumée. Marc Aurèle, furieux, fit porter dans la prison une grande pierre creusée, la fit remplir de plomb liquide dans laquelle on plongea les pieds de Bénigne. Dans le même temps, on lui enfonça des alênes brûlantes dans les doigts des mains. Malgré la souffrance, le chrétien continua à prêcher ses bourreaux, exhortant les soldats et les tribuns à croire en Jésus-Christ. Le martyr aurait été enfermé dans son cachot pendant six jours, sans aucune nourriture, avec douze chiens féroces et affamés qui devaient le dévorer et ainsi faire disparaître son corps. Mais l’ange revint illuminer la cellule, délivra Bénigne de ses tortures et lui donna à manger un pain céleste tout en apaisant la férocité des chiens. Le sixième jour, à l’ouverture de la geôle, on trouva Bénigne empli de joie, sain et sauf, chantant les louanges du Seigneur. Marc Aurèle, irrité, aurait alors sommé que l’on brisât la tête de son prisonnier avec une barre de fer et qu’il fût achevé à coups de lances. Cela fut exécuté avec tant de rage que les fers des lances se croisaient dans les entrailles du supplicié. Des fidèles s’étaient amassés devant la prison pour s’associer au courage et au triomphe du saint apôtre. C’était le 1er novembre 178, sous le pontificat de saint Éleuthère. La tradition situe ce cachot à l’emplacement d’une vieille tour, reste du castrum, dans le jardin de l’hôtel Fyot de Mimeure (actuellement 23 rue Amiral-Roussin]. Un escalier tournant s’enfonce jusqu’à un réduit qui en occupe le fond. Longtemps ce lieu porta le nom de Petît-Saint-Bénigne. Cette tour est aujourd’hui visible depuis le numéro 11 de la rue Charrue.
Selon les croyances, Léonille, informée du martyre de Bénigne accourut de Langres. Soit elle déroba le corps avec l’aide de quelques chrétiens, soit elle gagna les gardes avec de l’argent. Quel qu’en fût le procédé, elle prit bientôt possession de la dépouille, l’embauma pour la mettre plus sûrement à l’abri, la déposa dans un grand sarcophage de forme païenne, sans aucune inscription. Léonille mit Bénigne en terre, dans une zone inhabitée, proche de la crypte de Saint-Jean, à l’extérieur du castrum. Au début du IIIe siècle, de plus en plus nombreux à se recueillir près sarcophage pour vénérer le premier évangélisateur de la Bourgogne les chrétiens déblayèrent le tour du tombeau, creusèrent un escalier pour y descendre et élevèrent par-dessus une petite construction voûtée. Hélas, la région dijonnaise allait connaître, comme toute la Gaule à compter de la seconde moitié du IIIe siècle, une longue série, presque ininterrompue, d’invasions barbares et de guerres civiles, avec leur cortège de ruines et dévastations. Pendant plusieurs siècles, les Dijonnais n’osaient plus franc les portes du castrum ; le sépulcre de saint Bénigne devint solitaire. La petite construction voûtée s’écroula.
Au VIe siècle, Langres, chef-lieu du diocèse auquel Dijon était rattaché, n’était plus qu’une vaste ruine, démantelée par l’invasion des Alains. Son évêque, Grégoire, séjournait régulièrement à Dijon et ne se rendait plus dans sa cité qu’aux jours de grande solennité. Ayant vent qu’un culte ancien autour d’un tombeau païen renaissait et rassemblait de nombreux Dijonnais, Grégoire le fit interdire. À peine cette ordonnance rendue, l’évêque aurait eu une apparition : saint Bénigne lui demandait de cesser d’agir ainsi et de relever les ruines de son tombeau. Ému cette vision, Grégoire se serait exécuté, conjurant l’apôtre de lui pardonner son erreur. Ces faits furent rapportés par l’illustre historien de l’Église du VIe siècle, Grégoire de Tours, neveu de saint Grégoire de Langres. Une nouvelle crypte fut ainsi reconstruite avec une grande magnificence. Puis l’évêque jeta dessus les fondements d’une grande église qu’il dédia au martyr.
Saint-Bénigne apôtre de la Bourgogne de Pierre Cléon aux Editions Faton (ISBN : 978-2-87844-160-4)